Chasseuse d'images et de mémoires

par Laurence Martin
 
Patricia Baud travaille depuis quelques années avec l'écrivain Alain Bellet sur la mémoire des gens,des villes. Leurs livres en tandem réunissent mots et images. J'ai eu envie de rencontrer cette femme qui cherche à donner à voir, à travers ses photographies la beauté des gens ordinaires.
 
Patricia Baud a choisi de devenir photographe après douze années de travail comme psychosociologue.
"Cela m'a emmené à rencontrer quantité de gens, dans plein d'endroits différents. Là, j'ai commencé à observer ces lieux, quand on vient interviewer quelqu'un, on doit souvent attendre, alors on a le temps de regarder, de gamberger. J'essayais, à partir de l'environnement, du mobilier, de mettre une personnalité derrière. Après, j'avais l'image, puis le discours. Parfois, ça collait, ou au contraire j'étais frappée par le contraste. Un jour chez un notaire, je me suis dit qu'il y aurait un livre à faire de toutes ces professions, de tous ces lieux. J'ai essayé de faire les deux en même temps : interviewer, puis photographier, mais je l'ai fait très peu, par timidité. Alors j'ai décidé de devenir photographe. Pendant douze ans, j'avais vu les mentalités bouger, les lieux bouger. J'ai compris alors que des gens comme Doisneau aient eu envie de fixer ces réalités.
Au culot, elle se fait engager chez un photographe de mode. Parallèlement, elle fait son apprentissage en parcourant les rues de Paris.
Au départ, j'étais chasseuse d'images, pour me faire plaisir. Je me promenais dans les quartiers que j'aime et je photographiais ce qui me touchait. La photo des deux rabbins date de cette époque. Plus j'étais libre et plus j'avais l'impression que j'arrivais à me rencontrer. C'était un premier journal pour moi. J'aurais pu écrire ce que je ressentais quand j'allais dans ces lieux, mais ce n'était pas mon moyen d'expression.
 
Les projets qu'elle mène avec Alain Bellet lui permettent de réaliser son envie de départ, quand elle rencontrait des gens sur leur lieu de travail, dans leur lieu de vie...
Pour moi la photographie, c'est montrer les choses dont on ne parle pas, qu'on voit peu. C'est le contraire de la photo événementielle. J'ai envie de montrer, sans démagogie, la beauté qu'il y a dans la vie de chacun, dans un visage, une expression, dans l'atmosphère d'un lieu. Dans le travail que je fais actuellement, on me demande, en tant que photographe, de parcourir une ville et de choisir ce qui peut la représenter en trente photos... C'est un sacré choix ! Moi, je cherche la connivence, l'instant où quelque chose de marquant se passe. Par exemple, cette photo avec ces femmes qui s'embrassent. Il est béni, cet instant. Alors je vais les voir, je leur explique qu'on fait un livre sur la ville, je leur demande si je peux me servir de la photographie, on discute. Pour moi, faire un livre sur une ville, c'est donner une mémoire à des gens, à des quidams, à ceux qui passent dans la rue. C'est aussi donner une mémoire à la ville dans son histoire, comme l'image d'un vieux cinéma risquant la démolition...
 
Vos photos me frappent par leur beauté toute simple, un jardinier qui rit, des femmes maghrébines qui s'embrassent, des enfants qui lisent sur l'escalier d'une bibliothèque... On est à l'opposé du cliché de la banlieue morose. Puisqu'elle travaille en tandem avec un écrivain, je lui demande quelle différence elle voit entre l'écriture et la photographie.
L'écriture, ça a un rapport avec le mental, c'est une construction mentale, qu'elle soit intellectualiste ou imaginaire. La photo, c'est de la sensualité, c'est le corps, c'est voir, c'est toucher, c'est se confronter, ça fait appel aux sens alors que l'écriture fait plus appel à l'esprit. Je pense qu'une bonne photographie c'est quand on a été confronté à une situation et que l'on redonne l'émotion que l'on a ressentie, puis vient le sens. Cette photo, avec la petite fille, je l'ai prise à Achères. Elle marchait derrière sa mère qui poussait un landau, comme si elle laissait une distance. Je les ai suivies. J'ai voulu jouer sur le contraste de l'habit et du mur. Le mur, c'est la cité, c'est le béton, souvent l'impasse. La petite fille, c'est Alice dans les Villes, Alice au pays de la banlieue, elle doit trouver la bonne porte.
 
Je regarde une série de photos de vieux mannequins de femmes dans une sorte de hangar. Photos étranges qui évoquent des corps en morceaux, qui suggèrent un érotisme latent.
Ces photos, je les ressors, parce qu'elles me parlent à nouveau. Je les ai montrées à une femme qui m'a parlé du viol, du mal qu'elle avait eu à s'en sortir. Elle m'a donné à lire un texte qu'elle avait écrit et moi je lui ai apporté ces photos. Elle m'a dit, " tu dis à travers ces photos ce que je n'ai pas pu dire dans mon texte ou ce que l'on ne peut dire peut-être avec des mots.. " Ça l'a touchée dans sa chair. La photo, c'est de l'évocation, ça touche directement. En même temps, je crois qu'une photo a toujours un contenu latent. À un moment donné, on ne peut pas tout voir, tout réaliser, mais c'est quand même là...
 
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